Lorsque les premières lueurs apparaissent avec une parure de frise de cristalline sur les feuilles mortes venues recouvrir le sol. Lorsque les cynorhodons et les baies d’épines noires ne résistent plus à ce vent provenant d’un pays lointain, bien plus au nord de nos vallées. L’herbe des prairies, tout juste remise des chaleurs de l’été, s’enrobe de fils blancs cristallins et laissent apparaître les toiles de l’araignée qui cherche encore quelques mouches égarées.
C’est alors que jaillit la lumière, ce soleil qui transperce la brume de ces froidures qui annoncent l’hiver en figeant les paysages. Il est déjà monté au-dessus de l’horizon que les premières gouttes perlent de la ronce et de la feuille de châtaignier. Une immense vapeur monte comme un nuage dans l’air rosé de ces minutes éphémères. C’est à ce moment précis qu’il faut saisir cette lumière qui va comme chaque jour redonner vie au rouge-gorge ou le merle moqueur. Le jaune inonde l’espace, tout s’accélère, il rayonne dans un tumultueux tourbillon de lumière. Le ciel reprend déjà sa couleur bleue et la cheminée fume encore dans le foyer de la ferme, au loin derrière les grands chênes. Les gardiens des troupeaux résistent déjà au temps qui s’est comme figé. Ils suspendent les allées et venues dans leur veine jusqu’au prochain printemps qui verra renaître leur manteau de feuilles, déchargeant inlassablement cet oxygène qui pousse à la vie.
La lumière surgit avec un vent de douceurs, les acacias dansent sur le bord du chemin, le gui se met en boule pour annoncer la nouvelle année. La hulotte rentre dans son antre au cœur du frêne à fleurs, un couple de canards se dégourdissent les ailes jusqu’au prochain étang. Et la lueur envahit la prairie, les brandes et les ajoncs. Le ruisseau coule inlassablement au détour d’un fossé, c’est là que la salamandre va bientôt renaître. La grenouille rousse sortira-t-elle du bois ? La demoiselle résiste au froid bien niché dans sa carapace. Les grues sont passées, mais le geai cherche encore quelques glands égarés par le vent. La nuit a-t-elle vue passer le loup ? Il faudra prendre patience, encore et encore. Mais le chien aboie pour prévenir son voisin que la nuit fut calme. Le coq lui fait écho et répond à l’autre au loin qui chante toujours trop tôt. Alors le paysan fait son tour avant que les troupeaux prennent leur aise dans les prairies.
C’est ainsi à contre-jour que le point de vue s’opère. Le mot n’est pas des plus heureux, il est probablement dû à cette situation du regard ou n’apparaît qu’à la face des arbres encore situés dans l’ombre de la lumière. Cependant, c’est précisément cette position qui nous laisse admirer le changement de la gelée cristalline en ligne de lumière, dessinant parfaitement les contours des géants de la haie. Avec elle, la couleur reprend possession de notre univers pour les plus courtes des journées de l’année alors que le soleil traverse le ciel au plus bas de ses courses célestes. L’image saura-t-elle nous rendre ces couleurs empruntées le temps d’une fraction de seconde ? Sur cette belle terre de vie, un instantané ne suffira pas. Il faudra revenir et partager encore ces moments de paix que l’on perd trop souvent dans des occupations bien futiles.